Piloté par l’Écossais et Sud-Africain d’adoption Kid Fonque, le label Stay True Sounds donne à l’abondante scène deep house locale la visibilité qu’elle mérite. Alors que ses sorties ont un écho croissant en Europe, PAM a contacté le DJ, producteur et manager à Johannesbourg pour en savoir plus.
Photo: Dwson
Seul aux manettes de sa jeune structure, Allan Nicoll alias Kid Fonque nous avoue d’emblée ne pas disposer des moyens suffisants pour pousser et promouvoir son label en dehors de l’Afrique du Sud. En s’additionnant au talent des artistes déjà signés, l’inertie du web pourrait bien lui donner un sacré coup de boost à l’international dans un futur plus proche qu’il ne l’imaginait : « en trois ans d’existence, dit-il, le label s’est déjà constitué une bonne base d’auditeurs fidèles en Afrique du Sud. Maintenant, ça commence à résonner en Europe, et des gens de différents pays me contactent pour me dire qu’ils adorent le label ». Kid Fonque utilise ce constat comme carburant créatif, enchaînant les sorties au rythme de trois EPs par mois : « mon calendrier de sortie est lourd car je suis en contact avec énormément d’artiste, précise-t-il sans dissimuler son excitation, et personne dans ce pays ne sort la musique que je sors. C’est une satisfaction de commencer à sentir que les gens adhèrent à ce qui se passe ici. »
Un retour à l’esprit Do It Yourself
Si le pari semble osé et s’apparente à celui d’un jeune DJ fougueux qui décide de monter son label sur un coup de tête, l’histoire est pourtant tout autre, car Kid Fonque baigne dans l’industrie musicale depuis plus de 20 ans. Quatre ans avant de lancer Stay True Sounds, il était encore aux commandes de l’un des plus gros labels dance du pays, Soul Candi Records. « C’est un label massif, presque comme une major, explique-t-il. J’y ai occupé la place de manager pendant plusieurs années. Nous gagnions beaucoup d’argent avec les ventes de CD, mais ça n’était plus le cas avec la disparition progressive des supports physiques. Je m’étais toujours dit que j’ouvrirais mon propre truc et que je ferais exactement ce dont j’ai envie quand le moment viendrait. »
Par la force des choses, le DJ saisit cette malheureuse occasion pour créer dans la foulée la structure Stay True Sounds avec son acolyte Jullian Gomes. Ce dernier accompagnera Kid Fonque pendant la première année avant de quitter le label pour se concentrer sur sa carrière, sans pour autant tuer le projet dans l’oeuf : « Pendant ces deux dernières années, j’ai conduit le label en solo et les réussites s’enchaînent, raconte-t-il, presque victime de son succès. Heureusement, j’ai de bons contacts avec les producteurs du milieu qui me font suivre les productions les plus récentes. J’ai aussi une émission télé et un show radio qui rayonnent sur tout le pays. Mon émission ‘Selective Styles‘ est diffusée sur la plateforme nationale SABC, l’équivalent local de la BBC ou de Radio Nova, et je me sers de cette visibilité pour jouer de la musique indépendante, tous genres confondus. »
Né en Écosse, Allan a déménagé en Afrique du Sud avec ses parents quand il avait quatre ans. A l’époque, le fantôme de la scène indépendante DIY britannique s’est manifestement invité dans ses bagages. En effet, même à la tête d’une major, celui qui est devenu l’un des acteurs les plus influents de la scène électronique à Johannesbourg a toujours conservé intact son intérêt pour des labels comme Mo Wax ou Ninja Tune, qui ont depuis toujours modelé son état d’esprit : « Pour moi, il ne s’agit pas d’argent, confesse-t-il, mais seulement de sortir de la bonne musique. Heureusement, je n’ai pas besoin d’attendre qu’un label me paie, car à la fin du mois, j’ai bossé sur des évènements et fait quelques DJ sets. C’est pourquoi je peux me permettre, et je continuerai à sortir de la bonne musique sans avoir besoin de regarder mon compte en banque en me disant que je n’ai pas fait assez d’argent sur tel projet. Ce qui compte, c’est d’avoir sorti un super projet. »
Plus on discute avec le Kid, plus on comprend le nom choisi pour le label, “Stay True Sounds”, ou l’art de rester authentique en ne faisant rien d’autre que d’offrir au public de la musique fraîche et de qualité. Alors que la plupart des labels sud-africains savent que, pour exister, il faut se trouver une place sur les ondes radio, notre interlocuteur n’est pas à la recherche du hit suprême, ni d’une diffusion radiophonique salvatrice. Plaire au plus grand nombre n’est donc pas une priorité, et Kid Fonque mène plutôt ses combats à travers le feeling, tant artistique qu’humain : « Je pense que c’est comme lorsque Gilles Peterson sort quelque chose sur Brownswood, compare-t-il, ou lorsque des artistes sont sélectionnés pour passer sur Nova. C’est juste que la musique est honnête et sonne bien. Je sais quand la musique me touche, et si le producteur arrive lui aussi à me toucher en tant que personne, j’aurai envie de sortir sa musique et de le défendre. La connexion est unique avec chaque artiste, rien n’est forcé. » Grâce à sa longue expérience dans le milieu et notamment à son émission radio, le patron enthousiaste a tissé un immense réseau à travers le pays, découvrant de la nouvelle musique tous les jours, et rencontrant des artistes tels que Dwson ou FKA Mash, en ligne ou par le biais de l’ami-qui-connaît-quelqu’un-qui-connaît-quelqu’un, pour, au jour le jour, enrichir son catalogue avec ce qui se fait de mieux en termes de house music.
L’Afrique du Sud, 56 millions de consommateurs
Kid Fonque en est bien conscient, la deep house n’est clairement pas le premier genre qui vient à l’esprit quand on parle de l’Afrique du Sud, pays reconnu pour donner sa capacité à inventer les musiques de demain comme le gqom, le zef, le très actuel ama piano, et d’autres styles alternatifs à l’identité unique. Vu de sa fenêtre, il constate que « la communauté internationale observe l’Afrique, à la recherche d’authenticité. En cherchant des artistes qui représentent l’Afrique du Sud, ils tombent plutôt sur des sons afro-tek, et il y a définitivement de la place pour ça. C’est plus authentique, plus percussif, avec des sons qui définissent le pays ». À travers Stay True Sounds et ses différents vecteurs d’influence – notamment via la référence Boiler Room – Allan s’est auto-proclamé ambassadeur de ce style souvent exclusivement associé à l’Europe de l’Ouest, à tort. « La réalité, c’est que l’Afrique du Sud est le plus gros consommateur de deep house dans le monde, affirme-t-il. Les gens ne semblent pas réaliser la quantité de passionnés de deep-house dans ce pays. Tous les sous-genres de la house sud-africaine viennent de la house music internationale, portée par des gens comme Charles Webster, DJ Grégory ou Atjazz », aucune raison donc, que la finesse de la deep house ne vienne pas aussi frapper d’autres producteurs en plein cœur.
En marge de ces sous-genres représentatifs de la culture du pays, Allan se souvient de gens comme Vinny Da Vinci et les siens House Afrika qui, aujourd’hui quinquagénaires, ont largement contribué à développer le mouvement house à travers le pays. Il en fait un parallèle avec sa démarche : « C’est comme si je représentais la nouvelle génération avec Stay True Sounds. Mon label et mon émission de radio poussent vraiment l’esprit deep de la musique électronique, même si ça ne sonne pas purement sud-africain. » Ces convictions inébranlables doublées d’une certaine réputation ont fait du grand gaillard un leader qui a su développer un label de confiance et une émission radiophonique hautement convoitée par ses futurs invités : « Quand je sors l’EP d’un artiste dont les gens n’ont jamais entendu parler avant, ils vont l’écouter juste parce que ça sort sur Stay True Sounds, l’image de marque est devenue forte. »
La grande force du label réside aussi dans le fait de rester fidèle à son pays, où la bonne musique se répand comme du lierre sur un mur en briques. Le Kid se sent chanceux d’avoir réussi à bâtir une voie d’expression pour des producteurs qui composaient jusqu’à maintenant de la musique dans leur chambre. Il tient à leur laisser les clés du label pour de bon, même si d’autres artistes internationaux viennent régulièrement frapper à sa porte : « Je suis d’accord pour des remixes, pondère-t-il, mais les producteurs d’ici ont vraiment besoin d’une plateforme, et ça fonctionne très bien. Dwson a réussi à sortir des EPs sur [le label] Freerange. Aussi, j’ai sorti le premier EP de FKA Mash, qui sort aujourd’hui du son chez Atjazz Records Company et d’autres labels anglais. Ils grandissent vite, et je suis content d’être devenu une sorte de tremplin pour ces artistes. Je suis pote avec Jimpster de Freerange et les gars de Atjazz, et ils ont tous découvert cette musique via Stay True Sounds. »
Vers un futur plus éclectique
Réduire le catalogue de STS à de la pure deep house ne serait pas tout à fait juste. Plus tôt cette année, Kid Fonque s’est en effet autorisé un album personnel éclectique dans lequel les rythmes afros et brésiliens côtoient le hip-hop et le broken beat à l’anglaise, entrouvrant alors une fenêtre vers STY TRU BTS (pour “Stay True Beats”), petit frère du label. Il justifie ce choix : « Pour mon album, je devais rester sincère, ‘stay true’, et représenter la musique que j’aime, nous dit-il. J’ai toujours été éclectique et je n’ai jamais voulu que STS soit un label mono-genre. La communauté house est énorme ici, ce qui explique que STS soit naturellement devenu un label house. C’est pourquoi j’ai ouvert l’autre structure. Si tu écoutes mon émission, tu verras que c’est très varié, je ne joue pas pour les dancefloors mais plutôt pour les gens qui veulent découvrir de la nouvelle musique électronique. »
STY TRU BTS est donc dédié à la musique plus électronique et soulful, et compte aujourd’hui trois projets dont l’album de l’artiste Sio, qui a instantanément fait parler d’elle. Entre son statut d’artiste du mois et ses homepages sur Apple Music, les débuts s’avèrent très prometteurs après seulement une petite année d’existence. Convaincu par le bien-fondé de ses idées, Kid Fonque prend des risques et tente de casser des codes pré-établis ancrés dans la scène club de son pays. « Si tu es DJ ou si tu produis de la musique club et que tu écris un album, ça doit être un peu plus personnel, une espèce de fenêtre sur tes goûts en tant qu’artiste. C’est quelque chose de nouveau pour les Sud-Africains. Quand j’étais chez Soul Candi, si on sortait un disque de house, il devait absolument sonner house du début à la fin. J’ai toujours eu un état d’esprit européen, je pense par exemple à Kid Loco ou Nightmares on Wax, qui sortaient des albums très variés. C’est nouveau ici, c’est pourquoi c’était osé de sortir mon album de cette manière. Aujourd’hui, beaucoup de producteurs commencent à sentir qu’ils peuvent s’exprimer de façon multi-genre sur leurs disques, car je représente une plateforme qui sert à mettre en avant ce qu’ils sont. »
Nous écrivons ces lignes à l’heure ou la compilation Stay True Sounds Vol. 2 voit le jour sur les plateformes digitales, l’occasion rêvée de se rendre compte à quel point la sublime deep house made in South Africa a une solide carte à jouer sur la scène mondiale, à travers les sons profonds de SpheraQ, Fynn ou China Charmeleon et d’autres artistes qui ne devraient plus longtemps rester inconnus. Pour conclure et compléter ses paroles en musique, Kid Fonque lâche les quatre titres qui, selon lui, définissent le mieux le son du label :
Sean Munnick – Respect My Hustle
NtsakoSoul – For The Culture (Mash Remix)
Dwson – Luna
Kid Fonque – Undefined
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